Les opérations de maintien de la paix conduites depuis vingt ans en Afrique subsaharienne placent les Casques bleus dans des environnements tactiques complexes où ils doivent faire cesser des violences touchant les enfants, les femmes et les non combattants. L’exposition des personnels en opération de paix (OP) à des brutalités et aux menaces asymétriques inhérentes aux conflits modernes met donc à rude épreuve leur vulnérabilité et les confronte aux risques pour la santé mentale. Mais l’impact du conflit sur ces personnels est inégalement pris en considération par les pays fournisseurs de troupes. Cet état de fait tient d’abord à l’image négative des pathologies mentales associées à la folie dans la plupart des pays dont sont issus les troupes. Il relève également de la coordination institutionnelle à parfaire des procédures nationales dédiées à la prise en charge de la santé mentale des soldats déployés, et ce, tant dans la phase de pré-déploiement lors de la mise en condition opérationnelle (MCO), qu’en déploiement et en post-déploiement.
Durant la préparation opérationnelle des contingents et leur mise à disposition, bien souvent seules les exigences des Nations unies relatives aux équipements, aux normes de bonne conduite des personnels semblent l’objet d’une inspection approfondie. Les défis de la santé mentale passent encore, dans la génération de force, au second plan, alors même qu’une telle relégation agit en défaveur du maintien de la cohésion, du moral des troupes et de la performance. Les études épidémiologiques relatives aux populations militaires montrent des prévalences plus élevées d’état de stress post-traumatique que dans la population générale.
L’approche holiste en santé mentale, dont cette note se veut le plaidoyer, désigne la vision
stratégique à mettre en œuvre par les services et les administrations en charge de la génération des forces. Elle se base sur un accompagnement global des personnels sur tout le spectre de la mission allant du pré-déploiement, au déploiement en passant par le post-déploiement d’une part ; elle prend en compte le soldat et sa famille, d’autre part.
Quels sont les protocoles de prévention et de réponses aux troubles psychiques liés aux effets de la mutation des menaces ? Comment le Secrétariat peut-il améliorer l’information, la sensibilisation et l’accompagnement des États fournisseurs de troupes dans le domaine de la santé mentale durant les cycles de préparation, de déploiement et de retour de mission des personnels ? Comment les procédures onusiennes et le partage d’expériences entre les pays fournisseurs de troupes peuvent-ils contribuer à formaliser une démarche performante pour la prise en charge de la santé mentale ?
Cette note examine les enjeux liés à la vulnérabilité des personnels en uniforme en matière de santé mentale. Elle revient sur les défis à relever par les États contributeurs et le Secrétariat pour améliorer la prise en charge dans ce domaine. L’attention portée à la santé mentale dans les OP et le soutien psychologique apporté aux personnels des pays contributeurs sont essentielles au succès de la mission et à l’accomplissement des mandats. L’analyse porte également sur la nécessité de fournir des services pour la santé mentale après les OP afin de préserver la motivation de la troupe. La note plaide en faveur d’une approche collaborative basée sur le partage d’expériences entre les pays et le Secrétariat en vue de formaliser une démarche intégrant la santé mentale dans toutes les phases du déploiement des troupes.
Pour étudier les enjeux de la santé mentale dans les OP, les études de cas que nous avons retenues pour leur expérience concernent trois pays contributeurs de troupes, implantés en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest : le Gabon, le Nigeria et le Sénégal.
Cette note a été réalisée grâce au soutien de la Confédération Suisse.
Axel Augé est docteur en sociologie, maître de conférences aux écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (France) et habilité à diriger des recherches (HDR). Il est membre du centre de recherche des écoles de Saint-Cyr (Crec Saint-Cyr) et du Laboratoire interdisciplinaire de recherches en innovations sociétales (LIRIS EA 7481) à l'université de Rennes 2. Il occupe les fonctions d’enseignant-chercheur et de chef de filière à l’école spéciale militaire (ESM). Ses recherches portent sur les transformations socioculturelles du corps des officiers, la professionnalisation des armées au sud du Sahara et les opérations du maintien de la paix sous l’égide des Nations unies.
Axel Augé a mené plusieurs collaborations de recherches, d’enseignement et a organisé des séminaires internationaux avec des universités africaines. Il a collaboré avec le Democratic Centre for Security Sector Governance à Genève, DACF (Suisse), l’Organisation des Nations unies et l’OIF, antenne de New York. Directeur de plusieurs thèses d’étudiants africains, il est l’auteur de nombreuses publications dans le domaine de la sécurité, des armées et du maintien de la paix.