Table ronde du 4 octobre 2017 « Quel prérequis pour contribuer à la génération de force des opérations de paix de demain ? »
Panel 2 - Enjeux capacitaires et prérequis de l’engagement dans la génération de force des opérations de paix
Modérateur :
- M. Arthur Boutellis, Directeur du Centre Brian Urquhart sur les opérations de paix, IPI
4 intervenants :
- Colonel Barthelemy Diouf, Conseiller militaire, Mission permanente du Sénégal auprès des Nations unies : L’exemple du Sénégal
- M. George Arko-Dadzie, Service de la formation intégrée du DOMP : l’appui du Secrétariat des Nations unies aux pays contributeurs
- Colonel Issa Coulibaly, École de maintien de la paix Alioune Blondin Beye de Bamako (EMP Bamako) : Les défis des armées africaines et les formations de l’École de Bamako
- allocution principale de l’après-midi - S.E. Atul Khare, Secrétaire général adjoint, chef du Département de l’appui aux missions
Thèmes abordés :
Ce panel s’est focalisé sur les trois étapes principales qui se posent en préalable à tout engagement : « programmer-former-déployer ». Les questions abordées ont donc été les suivantes : comment appréhender le niveau d’ambition requis en termes de préparation opérationnelle et d’équipement ? Quelles exigences en termes d’anticipation des contributions aux missions de paix ? Quelles responsabilités incombent aux pays contributeurs dans le cycle d’une OMP ? Quels sont les rôles du DOMP et du DAM dans l’accompagnement de ce cycle de préparation ? Quelles bonnes pratiques des grands contributeurs de troupes africains ? Quelles possibilités de coopérations et de partenariats avec d’autres États contributeurs ? L’offre de formation au profit du maintien de la paix répond-elle au besoin ?
Avant d’inviter les panélistes à échanger sur les thématiques proposées, Arthur Boutellis, le modérateur du panel, a rappelé la réflexion en cours sur le renforcement du multilinguisme au sein des Nations unies et l’objectif de réduction de l’écart entre l’emploi de l’anglais et celui des cinq autres langues officielles.
Il a notamment mentionné la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, du 11 septembre 2017, qui prie le Secrétariat de traduire tous les documents de formation au maintien de la paix dans les six langues officielles de l’Organisation, de façon à ce que tous les États membres, en particulier les pays qui fournissent des contingents et des effectifs de police, puissent s’en servir.
En termes généraux, lors du débat sur la préparation des contingents, l’étude des choix des contributions en amont et la politique de remboursement sont apparus comme les conditions indispensables pour maintenir la capacité d’engagement dans la durée, à partir d’une véritable politique de réinvestissement des remboursements.
Les interventions ont également permis de pointer le besoin de formation des hommes sur les types d’équipements dont le déploiement est projeté, en privilégiant le matériel déjà utilisé dans le contexte des entraînements. Le défis de la maintenance et de la gestion dans le temps des dons d’équipement a également été évoqué, nombre de pays préférant l’acquisition en propre, qui garantit la maîtrise de la chaîne d’approvisionnement dans le cadre de la maintenance.
Le modérateur a enfin souligné que l’expérience exposée par le Sénégal confirme l’importance du partage d’expériences entre pays contributeurs.
Résumé de l’intervention du Colonel Barthelemy Diouf, Conseiller militaire, Mission permanente du Sénégal auprès des Nations unies
L’exemple du Sénégal
Colonel Barthelemy Diouf – Mission permanente du Sénégal auprès des Nations unies
Le colonel Barthelemy Diouf a d’abord rappelé le parcours du Sénégal comme contributeur majeur des OMP depuis les années 1960. Historiquement, le pays est intervenu sur vingt théâtres d’opérations onusiennes, en déployant un nombre de soldats et de matériels correspondant à quatre fois les effectifs de son armée[1]. Le Sénégal est parmi les dix principaux contributeurs des OMP au monde.
Le personnel militaire, de justice ainsi que des éléments de Sapeurs-Pompiers participent actuellement à six missions de l’ONU. Outre le niveau onusien, le Sénégal est engagé au sein de l’UA et de la CEDEAO, notamment à travers la Force africaine en attente (FAA) et la CARIC (Capacité africaine de réponse immédiate aux crises). Mais Dakar joue un rôle aussi sur le plan bilatéral, via des conventions signées avec des pays amis. C’est à ce titre par exemple que le Sénégal est intervenu en Gambie en 1984.
Le Sénégal est donc un pays qui a une expérience notable en matière d’OMP. Fort de ce constat, le colonel Diouf a insisté sur le concept de « volonté politique » comme élément fondamental pour participer avec succès aux missions de paix onusiennes. Le Sénégal dispose de cette volonté, et travaille actuellement à ce que son appareil de défense soit en mesure de déployer deux opérations de moyenne intensité au niveau régional.
L’architecture de la défense sénégalaise a été adaptée en conséquence, et elle est encore aujourd’hui en cours d’adaptation. Par exemple, et entre autres, au niveau des états-majors, des cellules spécifiques ont été créées afin de suivre le processus de génération de force d’une OMP onusienne. De plus, un projet de mise en place d’une direction du maintien de la paix au sein du ministère de la Défense est à l’étude. La formation des militaires et policiers sénégalais prévoit aussi des modules conformes aux exigences des OMP, avec un centre dédié à cela. La formation pré-déploiement s’attache à adapter les contingents aux OMP, dont les conditions sont à l’évidence différentes des misions menées en interne par les forces de défense et de sécurité. Le colonel Diouf insiste beaucoup sur la nécessité de renforcer la formation pré-déploiement.
Le colonel Diouf aborde ensuite la question des interactions entre le siège de l’ONU et le Sénégal dans la préparation d’une OMP. Deux outils de référence produits par l’ONU sont particulièrement mobilisés par les autorités sénégalaises dans ce cadre : il s’agit du Manuel relatif au matériel appartenant aux contingents (en anglais : COE Manual) et le SUR (Statement of Unit Requirements). Ces documents sont les plus importants aux yeux du colonel Diouf.
Le colonel Diouf remarque néanmoins que la participation aux OMP comporte aussi des difficultés. Il faut en effet tenir compte de l’impact que les engagements extérieurs peuvent avoir sur les capacités internes (comme par exemple la gestion de la situation en Casamance). Un équilibre doit donc être trouvé, ce qui n’est pas toujours évident. Sous un angle familial, il faut en outre considérer l’impact social que l’absence prolongée d’hommes et de femmes peut avoir sur leur famille.
Un autre problème concerne le matériel. Souvent, le Sénégal ne peut mettre à la disposition d’une OMP le matériel demandé par l’ONU, car ses stocks sont insuffisants. Ainsi, des pays donateurs, comme par exemple les États-Unis, peuvent fournir du matériel aux pays qui s’engagent dans une OMP. Toutefois, dans ce cas, le pays en question risque de ne pas maitriser la chaine d’approvisionnement ni de disposer du personnel spécifiquement formé à la gestion et à la maintenance de ce matériel. Celui-ci risque en conséquence d’être mal utilisé. L’idéal serait donc d’utiliser le matériel dont le pays contributeur dispose déjà. Il est en outre nécessaire de mieux développer et soutenir les capacités de maintenance de matériels acquis ou donnés préalablement au déploiement d’une OMP. Et la formation des techniciens devrait être continue, afin de maitriser toute la chaine d’approvisionnement.
En ce qui concerne la relation avec le Secrétariat, le dialogue doit être amorcé dès que l’on a l’intention de déployer une OMP. Selon le colonel Diouf, des progrès doivent être faits pour améliorer ce dialogue.
[1] 13 600 hommes, selon The Military Balance 2015 (London: IISS/ Routledge, 2015). Source : Amadou Moctar DIALLO, Contributor Profile: Senegal, 8 janvier 2016, Université Lumière Lyon 2, France.
- La présentation intégrale du colonel Diouf est téléchargeable ici
Résumé de l’intervention de George Arko-Dadzie, Service de la formation intégrée militaires au DOMP
L’appui du Secrétariat des Nations unies aux pays contributeurs
George Arko-Dadzie – DOMP
George Arko-Dadzie a d’abord rappelé quelle est la mission de soutien aux États membres qui incombe à l’ONU, et qui est assurée, au sein du Secrétariat des Nations unies, par le Service de la formation intégrée (Integrated Training Service – ITS) du DOMP-DAM. Il est ensuite revenu sur le rôle fondamental de la formation en amont au déploiement des contingents militaires et des unités de police constituées, en précisant qu’il ne peut y avoir de génération de force sans formation.
A ce propos, M. Arko-Dadzie a évoqué les principaux éléments du dispositif de formation proposés par le Service de la formation intégrée du DOMP. Par la résolution 4937 de l’Assemblée générale de l’ONU du 9 févier 1995, les États membres ont reconnu qu’ils disposent de la responsabilité première en matière de formation pré-déploiement, tandis que le Secrétariat est chargé de définir les normes de base pour cette formation.
Celle-ci se décline schématiquement en quatre phases :
- Formation technique
- Formation aux normes onusiennes
- Formation spécifique à une mission
- Formation intégrée
L’ITS du DOMP dispose également d’une équipe mobile devant assurer la formation de formateurs nationaux. Lorsque cette session de formation est accueillie dans un pays, d’autres pays de la région envoient leurs formateurs pour y participer. A cela s’ajoute un cours donné sous les auspices de l’ITS et destiné aux officiers d’état-major, qui se déroule chaque année à Paris. Enfin, un centre de formation de formateurs a été initié à Entebbe après le sommet de leaders sur le maintien de la paix de 2015. Le détail sur les supports relatifs aux politiques, orientations et formations pour le maintien de la paix est accessible sur le portail onusien des ressources du maintien de la paix.
Malgré ces dispositions, George Arko-Dadzie reconnait que, d’une manière générale, l’écueil linguistique reste un obstacle à l’appropriation du dispositif d’offre de formations par certains États francophones. Nombre de supports ne sont pas encore traduits en langue française. Le problème étant que les traductions ne sont pas comprises dans le budget général de l’ONU mai dépendent de budgets spécifiques. Bref, le travail de traduction des textes normatifs reste un chantier ouvert.
Par ailleurs, Arko-Dadzie reconnait aussi que le processus de communication entre l’ITS et les pays francophones est particulièrement malaisé : les délais de réponse des capitales francophones sont alourdis par le nombre d’échelons administratifs impliqués, qui sont souvent plus importants dans les pays francophones que dans ceux anglophones. Le problème se pose toutefois aussi à New York, car l’absence d’un nombre suffisant d’interlocuteurs francophones dans le dispositif de l’ITS constitue en cela un handicap pour les pays francophones.
Sur ce dernier point, Arko-Dadzie rappelle combien il est difficile, pour l’ONU, de recruter du personnel francophone qualifié dans le domaine des OMP et des formations. Lui-même est une des rares personnes parlant français dans son équipe, bien qu’il soit de nationalité ghanéenne. Il quittera son poste en octobre 2017, mais il devrait être remplacé par un ressortissant marocain francophone.
Résumé de l’intervention du Colonel Issa Coulibaly, École de maintien de la paix Alioune Blondin Beye de Bamako
Les défis des armées africaines et les formations de l’École de Bamako
Le colonel Issa Coulibaly représente l’École de maintien de la Paix « Alioune Blondin Bèye » (EMPABB), le seul établissement francophone de formation au maintien de la paix sur le continent africain. Il s’agit d’un centre d’excellence de l’Union Africaine (UA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) soutenu par plusieurs bailleurs de fonds.
Il a rappelé les principaux défis capacitaires, techniques et structurels des armées africaines dans leur ensemble. Coulibaly a souligné que ces défis empêchent les armées africaines de s’adapter aux nouvelles formes de menaces sécuritaires (terrorisme, piraterie maritime, criminalité transfrontalière, conflits asymétriques, etc.).
Dès lors, ces mêmes problèmes se retrouvent lorsque les pays africains doivent participer au processus de génération de force de l’ONU dans le cadre d’une OMP. L’évolution régulière des standards onusiens, la complexité des procédures de remboursement du matériel appartenant aux contingents, les vices de procédures lorsque les remboursements sont demandés : ce sont autant d’éléments qui entravent la contribution africaine et qui peuvent avoir un effet décourageant.
Le Colonel Coulibaly souligne en outre que la mauvaise compréhension des procédures et règles de remboursement des matériels peut pousser certains contingents à ne pas utiliser leur matériel de peur que celui-ci soit abimé et ensuite non remboursé.
Le manque de capacité de projection tactique et stratégique est l’un des principaux problèmes auxquels font face les armées africaines. Un problème qui est accentué par le fait que plusieurs grands contributeurs africains (Égypte et Nigeria) se sont retirés des OMP à cause de leurs propres problèmes d’instabilité interne. De nouveaux contributeurs sont apparus, mais il s’agit souvent de pays plus petits avec des capacités de projection limitées. Ainsi, ces pays tendent à intervenir essentiellement dans leur propre région, voire chez leurs voisins.
Comme d’autres orateurs de cette table ronde, Coulibaly insiste lui aussi sur la formation pré-déploiement et dénonce le manque de traductions de plusieurs documents fondamentaux de l’ONU. Il cite à ce propos l’exemple de documents relatifs au déploiement des Unités de police constituées, qui ne sont disponibles qu’en anglais.
Après avoir effectué ce diagnostic, le Colonel Issa Coulibaly a expliqué quelles sont les formations proposées par l’École de Bamako afin d’améliorer la contribution francophone au maintien de la paix. Celles-ci touchent à un large éventail de matières, allant de la participation des femmes aux OMP jusqu’à l’analyse des procédures onusiennes de remboursement des équipements.
Mais d’autres formations peuvent encore être signalées. Après la crise liée à l’épidémie Ebola, l’école a développé, avec le soutien du Japon, un cours sur « La gestion des risques de catastrophe – GRC », permettant aux soldats de la paix d’avoir une réaction appropriée en cas de catastrophe naturelle ou d’épidémie. Afin d’améliorer la prestation des unités de police constituées, l’EMPABB a intégré à son programme, avec l’appui de l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (UNITAR) et la République fédérale d’Allemagne, une formation d’officiers d’état-major et une formation pratique.
L’École de Bamako forme également à travers des équipes mobiles, les UPC avant leur déploiement au sein de la MINUSMA (Bénin et Sénégal). La protection des civils étant devenue la priorité dans la quasi-totalité des nouveaux mandats, l’École de Bamako prévoit le développement de cours sur la thématique de la protection des civils et sur le dialogue et la médiation, la prévention des conflits étant appelée à devenir une priorité.
Enfin, l’École envisage également, à moyen terme, en collaboration avec SWEDINT (Swedish Armed Forces International Centre) et la MINUSMA, un cours intégré d’officiers d’états-majors pour civils, militaires et policiers, avec à la clé un exercice commun intégré.
Parmi les points conclusifs de son discours, Issa Coulibaly aborde la question de la formation en matière de lutte contre le terrorisme. Le sujet est très délicat, car à ce jour tous ne sont pas d’accord sur le fait que la lutte contre le terrorisme doive être une activité du ressort d’une OMP. Toutefois un certain consensus pourrait émerger sur ce point à terme. L’École de Bamako pourrait donc être appelée à aborder cette question dans le cadre de ses activités futures.
- La présentation intégrale du Colonel Issa Coulibaly est téléchargeable ici
S.E. Atul Khare – DAM
Résumé de l’intervention de S.E. Atul Khare, Secrétaire général adjoint, chef du Département de l’appui aux missions (DAM)
Dans son allocution, S.E. Atul Khare a rappelé combien le maintien de la paix a considérablement changé au cours des dernières années et décennies : les missions sont devenues plus complexes, alors que les attentes sont plus importantes et pressantes. La carence de traductions en français des documents de l’ONU est, dans ce contexte, un obstacle d’autant plus important que les OMP sont plus difficiles à mener.
Atul Khare a ensuite énoncé quelles sont les tâches du Département d’appui aux missions (DAM) du Secrétariat des Nations unies. Il a tenu à rappeler, à ce propos, que le rôle de cette administration n’est pas celui de fixer les règles, mais de trouver des solutions. L’objectif est de faciliter la participation des États membres aux OMP. Dans cet esprit, Atul Khare s’est adressé aux pays contributeurs pour leur demander qu’ils expriment leurs besoins et attentes vis-à-vis de l’administration onusienne, notamment par rapport à la gestion des OMP. Car pour bien fonctionner, le DAM doit comprendre quelles sont les attentes et les besoins des États membres.
Atul Khare a rappelé que les OMP, qui sont la principale vitrine de l’ONU, ne sont pas en crise, mais sont en pleine mutation. Elles se situent à un moment décisif au regard de la réforme en cours pour améliorer la performance et les capacités des missions. Il a par conséquent insisté sur les objectifs suivants, visés par la réforme :
- Réduire les coûts des OMP
- Assurer une meilleure gestion de la chaîne des approvisionnements
- Intégrer une meilleure gestion de l’environnement
- Réabsorber les lacunes en matière d’équipements, mais aussi en maintenance de matériel
- Améliorer la formation
La table ronde organisée par l’Observatoire Boutros-Ghali est, selon S.E. Atul Khare, une occasion de démystifier les procédures de génération de force, de remboursement, etc., en faveur d’une amélioration de la représentation des contributeurs francophones dans les OMP.
Sur ce point, il a reconnu le manque de personnel francophone au sein du DAM et les difficultés à identifier les personnes compétentes venant des États membres à recruter. La situation est particulièrement urgente dans le domaine de l’aviation et des unités médicales. Ce point est revenu fréquemment dans ses ainsi que dans ceux des autres orateurs de la table ronde.
Atul Khare a ensuite mentionné le problème relatif au manque de personnel féminin dans les OMP, en demandant aux États membres de proposer plus de femmes lorsqu’ils s’engagent dans le processus onusien de génération de force. Il a souligné combien la présence de femmes dans les OMP était un élément essentiel dans toute stratégie visant à améliorer les relations entre les Casques bleus et la population locale.
Atul Khare a évoqué ensuite la question des remboursements, en admettant que ceux-ci devaient être faits plus rapidement. Enfin, il a sollicité les États membres afin qu’ils soutiennent les réformes de l’ONU proposés par le Secrétaire général, Antonio Guterres.