Table ronde du 4 octobre 2017 « Quel prérequis pour contribuer à la génération de force des opérations de paix de demain ? »
Panel 1 – L’engagement des contributeurs francophones dans le maintien de la paix : défis et opportunités
Modérateur :
- Prof. Michel Liégeois, membre de la coordination scientifique de l’OBG, ROP Europe, Professeur à l’UCL
4 intervenants :
- Dr Alexandra Novosseloff, Chercheure invitée senior, International Peace Institute (IPI) : « Pourquoi s’engage-t-on dans une OMP ? Quelles sont les retombées attendues ? »
- S.E. Omar Hilale, Représentant permanent du Maroc auprès des Nations unies : « … Les pays contributeurs doivent avoir plus de poids dans la gestion des OMP … »
- Général de Brigade Babacar Faye, Chef d’état-major du Bureau des affaires militaires au Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) :
« Des pistes de solution pour renforcer la participation francophone » - Mme Naomi Miyashita, Département des opérations de maintien de la paix (DOMP): « L’enjeu de la langue pour la réussite d’une OMP »
Thématiques abordées
Les thématiques abordées lors de ce panel ont été les suivantes : Quelles motivations président à l’engagement des pays contributeurs dans les OMP, et notamment des pays de l’espace francophone ? Quelles sont les retombées des OMP pour les pays contributeurs ? Comment accroître la participation des États contributeurs de troupes et d’unités de police francophones au maintien de la paix ? Quels sont les mécanismes et espaces de dialogue entre les pays contributeurs et le Secrétariat ?
Les échanges à ce propos ont permis de souligner l’importance que revêt une mobilisation politique en amont au sein des États contributeurs, avant qu’ils ne s’engagent dans une OMP. La mise en place de structures administratives spécifiquement chargées des questions de maintien de la paix au sein des directions politiques des ministères de la défense parait essentielle.
Résumé de l’intervention du Dr. Alexandra Novosseloff Chercheure invitée senior, International Peace Institute (IPI)
Pourquoi s’engage-t-on dans une OMP ? Quelles sont les retombées attendues ?
Dr. Alexandra Novosseloff – IPI
En ouvrant ce premier panel de discussion, le Dr Alexandra Novosseloff a présenté l’évolution des contributions des pays francophones aux OMP onusiennes au cours des vingt-six dernières années. Le schéma ci-dessous reprend en bleu les contributions francophones et en rouge celles venant du reste du monde. Alexandra Novosseloff a souligné que, sur 124 pays contributeurs, à peu près un tiers sont francophones. Le Sénégal est le principal d’entre eux.
Evolution des contributions des pays francophones aux OMP onusiennes de 1990 à 2016
Le Dr Alexandra Novosseloff a ensuite proposé une « typologie » relatives aux logiques présidant à l’engagement des États dans les OMP, en précisant que celle-ci n’est pas spécifique aux États francophones. D’une manière générale, elle remarque que l’implication dans les OMP n’est pas un acte purement altruiste. L’une des principales motivations des États est de siéger au Conseil de sécurité des Nations unies. La participation aux OMP peut aussi constituer un moyen permettant à certains pays de réintégrer le concert des nations (exemple du Timor oriental, du Vietnam et de la Mongolie). Une autre raison est celle d’intervenir dans les régions et zones d’intérêt, afin d’influencer une crise qui peut potentielememnt influer sur la sécurité du pays contributeur.
Au-delà de ces motivations classiques et communes à tous les pays contributeurs des OMP, d’autres considérations doivent être faites. D’abord, il existe une diversité de contributions possibles, ce qui implique une diversité de raisons ou de motivations pour contribuer à une OMP. Ces motivations peuvent par ailleurs suivre des logiques d’ordre militaire, régional, sécuritaire, économique ou commercial, selon les cas.
Logique militaire
Cette logique touche au besoin de formation des contingents. Les OMP sont un moyen permettant d’assurer l’entrainement, notamment des jeunes relèves. L’engagement régulier au sein des OMP permet en outre aux pays contributeurs, et à leurs soldats, de se confronter à un milieu multinational et de renforcer leur capacité à travailler ensemble, en améliorant leur interopérabilité. Il permet également aux pays disposant d’armées pléthoriques de maintenir une partie de leurs soldats en dehors du territoire. Les contributions militaires peuvent aussi se faire en fonction des spécialités et des contraintes propres à chaque armée. Ainsi, le Japon déploie principalement des forces de génie, car pour des raisons historiques et constitutionnelles ce pays est peu enclin à l’usage de la force militaire. La Corée du Sud déploie par contre essentiellement des unités médicales et veut aujourd’hui déployer aussi des technologies. Le Canada est par contre actif plutôt dans le domaine de la formation.
Logique régionale
La contribution aux OMP peut servir à affirmer le statut de puissance régionale du pays contributeur, comme dans le cas du Brésil dans le cadre de la MINUSTAH (Haïti). Cette approche régionale éclaire en outre le rôle du Sénégal au sein de la CEDEAO, ou encore la logique des partenariats régionaux privilégiée notamment par l’Argentine et le Chili pour mutualiser certaines de leurs démarches de formation (collaboration entre les écoles de formation).
Logique sécuritaire
A travers cette logique, l’État contributeur vise à réduire les risques sécuritaires d’une crise dans son environnement proche. Elle est notamment illustrée par les réponses des pays européens lors de la crise des Balkans, ou encore par le rôle de premier plan joué par les pays de la Corne de l’Afrique dans l’AMISOM, et celui des membres de la CEEAC dans la crise en RCA.
Logique économique, voire commerciale
Les remboursements onusiens permettent d’entretenir une armée et d’entraîner des soldats à peu de frais. Selon le Dr. Novosseloff, toutefois, celle-ci n’est pas forcement la première des motivations des pays contributeurs. L’implication dans les OMP peut en outre être motivée par la volonté de sécuriser des zones d’intérêt stratégique ou des contrats commerciaux. La participation chinoise aux OMP en Afrique en est l’exemple.
Alexandra Novosseloff termine son allocution en abordant les moyens d’accroître la participation des États contributeurs francophones au maintien de la paix. De manière générale les pays francophones restent des pays aux ressources limitées. Les partenariats capacitaires sont par conséquent l’un des moyens qui devraient être privilégiés afin de renforcer la contribution francophone aux OMP. L’interopérabilité, la création d’espaces de dialogue sur le retour d’expérience, notamment à travers les centres de formation, apparait dès lors nécessaire.
Résumé de l’intervention de S.E. Homar Hilale, Représentant permanent du Royaume du Maroc auprès des Nations unies
Les pays contributeurs doivent avoir plus de poids dans la gestion des OMP…
Homar Hilale, Représentant permanent du Royaume du Maroc auprès des Nations unies
En préambule de son propos, le Représentant permanent du Royaume du Maroc auprès des Nations unies a salué l’initiative de cette table ronde arrivée à point nommé, dans le contexte de réforme des OMP initié par le Secrétariat. En tant que contributeur historique, le Maroc a mobilisé environ 88 000 soldats depuis son intervention dans la crise congolaise de 1960 et perdu une centaine de soldats de la paix. Le Maroc coordonne par ailleurs le groupe des pays non alignés en ce qui concerne la question des OMP, et figure de ce fait parmi les interlocuteurs incontournables du Secrétariat sur ces questions.
La première justification de l’engagement dans les OMP, selon S.E. Omar Hilale, découle de la Charte des Nations unie qui instaure une responsabilité collective dans le maintien de la paix. Il existe une double spécificité du Maroc à la fois arabophone et africaine. Le Maroc a déployé des unités médicales dans les Balkans, mais est aussi présent en RCA où ses unités mettent l’accent sur la dimension sociale du maintien de la paix (distribution de matériel scolaire).
Parmi les enjeux majeurs, S.E. Omar Hilale a insisté sur les points suivants :
- La prise en compte de la dimension linguistique dans les documents fondamentaux est insuffisante, alors que les cahiers des charges des OMP est de plus en plus étendu.
- La participation des pays contributeurs à la prise de décision au sein des instances onusiennes doit être renforcée. S.E. Hilale a beaucoup insisté sur ce point, en évoquant l’émergence d’une certaine frustration de la part des principaux pays contributeurs. Il a en particulier dénoncé le manque d’accès aux postes de planification pour le personnel venant des pays contributeurs. A ce propos, Hilale a dénoncé l’existence d’un réel déséquilibre, les pays contributeurs étant relégués au rôle de simples fournisseurs de troupes.
- Les mandats doivent être plus clairs. Leur clarté constitue un gage de la réussite des missions. Ils doivent en outre prévoir une fin de mission et une stratégie de sortie. La durée de certaines missions entraine une lassitude qui porte atteinte à la crédibilité des Nations unies.
- L’affectation aux zones d’opération pose aussi débat. Omar Hilale remarque que certains pays imposent des conditions au déploiement de leurs soldats qui leur permettent d’éviter des zones à risque. Ainsi, un déséquilibre dans le partage du risque apparait souvent au sein des OMP, notamment entre les pays qui interviennent dans les zones exposées au danger et ceux qui assurent le commandement. Certaines conditionnalités devraient donc être interdites par l’ONU : si un pays décide de déployer des troupes dans le cadre d’une OMP, il doit accepter que celles-ci puissent être déployées dans des zones à risque. L’ambassadeur Hilale rappelle à ce propos que le Maroc a perdu plus de 100 hommes dans le cadre des OMP.
- L’enjeu de la protection des missions, et le défis des attaques contre les forces des Nations unies doit être mieux pris en compte par l’ONU. Il faut en outre entreprendre des actions pour éviter que ces crimes restent impunis, notamment au Mali et en RCA, où plusieurs attaques contre les Casques bleus sont à déplorer. La question des équipements s’avère fondamentale pour faire face à ce genre de menace. Les groupes irréguliers sont parfois mieux équipés que les contingents onusiens, dénonce l’ambassadeur Hilale. L’asymétrie défavorise les contingents onusiens. La sécurisation des troupes par l’amélioration de l’information et le recours aux moyens technologiques reste un défi, en raison de la lenteur de la prise de décision.
- Le renseignement joue un rôle essentiel dans le cadre de la protection des missions. Les OMP devraient disposer de plus de moyens à ce propos, et les États qui disposent d’informations doivent les partager. Selon S.E. Hilale, plusieurs vies de Casques bleus auraient pu être épargnées si les OMP disposaient d’un meilleur renseignement. Souvent, et surtout en Afrique, lorsque des unités de Casques bleus partent en patrouille, elles vont à l’aveuglette.
- Les lenteurs en matière de prise de décision doivent être surmontées. Les Nations unies ont des procédures bureaucratiques qui ne sont pas adaptées à la nécessité de décider et de réagir vite dans des théâtres de crise. Hilale cite un exemple à ce propos : dans le cadre de la MINUSMA (Mali), le Maroc avait demandé au siège de l’ONU une autorisation pour pouvoir déployer des mitrailleuses lourdes, au regard de la complexité du contexte sécuritaire dans lequel verse le pays. Il a fallu du temps pour que cette autorisation soit acceptée. Pendant ce temps, des Casques bleus marocains sont morts en opération.
En guise de conclusion, S.E. Hilale a fait un appel aux pays contributeurs de troupes pour qu’ils se mobilisent face à la réforme de l’ONU actuellement en cours, et qu’ils pèsent de tout leur poids pour que leurs exigences soient mieux prises en compte dans le cadre des OMP.
Résumé de l’intervention du Général de brigade Babacar Faye, Chef d’état-major du Bureau des affaires militaires au DOMP
Des pistes de solution pour renforcer la participation francophone
Général de brigade Babacar Faye – DOM
En introduction de son propos, le général Faye a rappelé que la première opération onusienne sur le continent africain, au Congo de 1960 à 1964[1], avait impliqué à l’époque quatre pays francophones : la Guinée, le Mali, le Maroc et la Tunisie. En dépit d’une amélioration relative de la contribution des pays francophones (d’environ 6 % de troupes francophones au début des années 2000, on est passé à 25 % de troupes francophones en 2017) ces derniers demeurent sous représentés dans les OMP déployées, y compris dans les espaces francophones. Cette évolution n’est cependant pas la traduction d’une politique volontariste, mais le fait de l’intégration des troupes régionales déjà présentes sur le terrain, dans le cas de crises survenues au Mali et en République centrafricaine[2].
Ainsi, sur les 129 offres d’unités disponibles enregistrées dans le Système de préparation des capacités de maintien de la paix (PCRS, Peacekeeping Capability Readiness System), 17 seulement sont francophones, soit 13 %. L’origine de ce problème est à situer dans l’absence de volonté politique et à la persistance dans nombre de pays d’un ensemble d’écueils structurels, parmi lesquels :
- La crainte des conséquences de nouvelles mentalités forgées par l’expérience des OMP, lors du retour dans le pays d’origine ;
- Les limites liées à une architecture de défense et de sécurité essentiellement organisées autour de forces terrestres ;
- Les limites financières ;
- La carence de moyens de soutien logistique.
D’une manière générale, nombre de pays ne remplissent pas encore les critères d’éligibilité aux OMP onusiennes. Dans son discours, le général Faye a ainsi proposé plusieurs pistes de réponses pour remédier à cette situation :
- Sensibiliser les gouvernements en amont, en vue d’une meilleure compréhension des avantages et bénéfices d’une implication dans les OMP et pour les amener à consentir les efforts d’investissements ;
- Mettre en place des partenariats entre pays francophones en vue de combler le déficit d’équipements par un transfert de technologies et capacités ;
- Amplifier le plaidoyer en faveur du déploiement de troupes francophones via l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ;
- Redynamiser le programme RECAMP en le recentrant sur l’espace francophone avec l’OIF dans un rôle moteur ;
- Créer une branche militaire de préparation aux OMP au sein de l’OIF, un département francophone des affaires militaires qui prendrait le programme RECAMP sous sa tutelle.
Réagissant à cette proposition lors des échanges avec les participants, le Général Jean Baillaud a fait valoir l’importance de la complémentarité entre les OMP et les acteurs locaux, comme garantie d’un retrait ultérieur. Avant de créer une nouvelle structure, il serait plus indiqué, selon lui, de s’ancrer dans les structures régionales en charge de la planification des OMP (UA, CERs) pour ne pas déforcer leur rôle. Par ailleurs, l’une des réponses structurelles pourraient aussi être celle d’une offre de formation visant le renforcement des compétences dans les Écoles d’état-major et de guerre locales. La question centrale reste, selon J. Baillaud, celle des standards et de la méthodologie. La formation des généraux et la compréhension et l’application des normes doit être standardisée.
[1] Les Nations unies étaient aussi intervenues suite à la crise du canal de Suez opposant l’Égypte à Israël, 1956-1967, mais cette mission n’a impliqué aucun pays contributeurs africain.
[2] Ce sont les contingents déployés par les pays des deux sous-régions respectives qui ont servi de noyau de départ pour les missions onusiennes au Mali et en RCA, avec la « transformation » de la MISMA en MINUSMA, et de la MISCA en MINUSCA.
- La présentation intégrale du colonel Diouf est téléchargeable ici
Résumé de l’intervention de Mme Naomi Miyashita, Département des missions de maintien de la paix des nations unies (DOMP)
L’enjeu de la langue pour la réussite d’une OMP
Naomi Miyashita – DOMP
Lors de sa présentation, Mme Miyashita a insisté sur l’importance de l’enjeu linguistique pour la réussite d’une opération de maintien de la paix. Les OMP recoupent en effet des aspects politiques et socioculturels qu’il convient de prendre en considération. Dans ce cadre, la maîtrise de la langue et le dialogue avec les populations locales sont des garanties pour la performance et un plus haut degré d’acceptation des missions.
En outre, les capacités de dialogue et un contact plus étroit avec les populations ont également une incidence décisive en termes de récolte d’informations et de renseignements utiles sur le plan sécuritaire. Il est apparu bien souvent que les informations recueillies sur le terrain sont plus pertinentes que celles recueillies à travers des moyens technologiques plus sophistiqués. En cela, le facteur de la langue est donc capital.
Les ressources des pays francophones sont souvent accaparées par des engagements pris aux niveaux nationaux et régionaux. Ce qui explique en partie les difficultés de certains pays à participer aux OMP. A l’instar du général Faye, Mme Miyashita insiste elle aussi sur la nécessité de renforcer les partenariats capacitaires, qui peuvent permettre de remédier aux limites de moyens et des capacités technologiques de certains pays francophones.
Naomi Miyashita cite ensuite une série d’exemples d’initiatives prolifiques en termes de soutiens capacitaires :
- L’Égypte a offert son soutien à la MINUSMA par l’apport d’une centaine de véhicules blindés.
- Le Japon a proposé ses compétences de formation en ingénierie.
- Un travail de traduction de documents est en cours avec le soutien de la Belgique.
Lors de la séquence question/réponse de ce premier panel, les orateurs ont été sollicités par le président de session, Axel Augé, sur les implications que revêt la notion du maintien de la paix robuste.
Pour le Général Faye, autoriser les troupes engagées à se battre suppose tout d’abord un accroissement des capacités. Toutefois, le risque de rupture de la neutralité est à prendre en considération et doit être évité à tout prix. Dans le contexte des conflits asymétriques, les Casques bleus sont confrontés à des groupes qui ignorent le droit international et le droit humanitaire. Ces groupes irréguliers considèrent les Nations unies comme un obstacle à la réalisation de leur agenda. Le recours aux engins explosifs improvisés et aux attaques vise à décourager le déploiement des contingents des Nations unies. La réponse mesurée consiste à doter les contingents onusiens de moyens de protection et de dissuasion : véhicules de combat d’infanterie, hélicoptères de combat et, plus généralement, des armements plus performants.
Pour le Dr Alexandra Novosseloff, le maintien de la paix robuste doit avoir aussi un volet politique, sous forme de soutien ou de pression sur les parties en conflit par les États qui ont soutenu la constitution de l’OMP.
Les orateurs conviennent sur le fait que les OMP sont déployées le plus souvent avec des moyens dérisoires par rapports aux objectifs assignés, qui peuvent être dans certains cas très larges. Les Nations unies ne pouvant acquérir des équipements (l’acquisition demeure la prérogative des États), elles dépendent en cela du bon vouloir des États membres.