Albert Trithart, « Reconciling International Intervention with Haitian-Led Solutions: Interview with Gloria Blaise », IPI Global Observatory, 3 décembre 2024.
Albert Trithart, « Reconciling International Intervention with Haitian-Led Solutions: Interview with Gloria Blaise », IPI Global Observatory, 3 décembre 2024.
En juin 2024, des agents de police kenyans ont été déployés en Haïti dans le cadre de la Mission multinationale de soutien à la sécurité (Multinational Security Support mission – MSS). La mission autorisée par les Nations unies (ONU) opère dans un théâtre d’affrontements de gangs extrêmement violents, ayant fait plus de 4000 morts et 700 000 déplacés. Dans une interview accordée à Albert Trithart, chercheur au sein du Global Observatory de l’International Peace Institute (IPI), Gloria Blaise, directrice du développement de la recherche à au think tank Haïti Policy House, analyse la façon ton la MSS déployée en Haïti est perçue et comment elle pourrait instaurer la confiance avec la population.
La mission s’organise autour de deux objectifs principaux : sécuriser et protéger les infrastructures gouvernementales en Haïti, et soutenir la police haïtienne dans la lutte contre les violences de gangs. La mission devait initialement réquisitionner 2500 soldats et policiers, mais frôle aujourd’hui les 400 effectifs, principalement par manque de moyens financiers. À propos d’une potentielle transformation de l’actuelle mission en mission onusienne de maintien de la paix, Gloria Blaise estime que cela reste spéculatif et difficilement réalisable notamment en raison de la future administration Trump et de ses potentielles réformes. Elle souligne aussi l’opposition continue de la Chine et de la Russie à l’instauration d’une telle mission en Haïti, tout autant que les réticences liées aux échecs des anciennes missions onusiennes en Haïti. Cependant, des sondages réalisés récemment en Haïti laissent apparaitre que la population est plutôt favorable à la présence de contingents étrangers, notamment au vu des conditions actuelles et de l’escalade de la violence. Ceci n’était pas le cas au début de la MSS. Gloria Blaise soutient que le commerce illicite d’armes et de drogues en Haïti et dans l’ensemble de l’Amérique latine est une cause fondamentale de la violence. Le manque d’opportunités économiques en Haïti est aussi une cause du conflit, davantage d’investissements étrangers pourraient relancer l’économie haïtienne et faire baisser la violence. Elle souligne également le rôle crucial de la diaspora haïtienne, notamment au travers d’institutions telles que le Think Tank Haïti Policy House œuvrant depuis Washington D.C. pour influencer les politiques étrangères concernant Haïti. En conclusion, l’interview met en lumière les défis complexes auxquels est confrontée la MSS en Haïti et l’importance d’une solution haïtienne à une crise haïtienne. Il faut prendre le problème à sa source en commençant par couper l’alimentation des gangs par les élites et oligarques ; mener des réformes des forces de police, poursuivre le développement du capital humain, les investissements dans la technologie et la croissance économique ; et assurer l’application de sanctions pour résoudre les problèmes systémiques.Emmaculate A Liaga et Meressa K Dessu, « Will the Kenyan-led police mission in Haiti be replaced? », ISS Africa, 25 septembre 2024.
Emmaculate A Liaga et Meressa K Dessu, « Will the Kenyan-led police mission in Haiti be replaced? », ISS Africa, 25 septembre 2024.
Dans cet article publié sur le site d’ISS Africa, les deux auteurs, Emmaculate A Liaga et Meressa K Dess se penchent sur l’avenir de la mission de police déployée en Haïti autorisée par l’ONU et sur son potentiel remplacement par une opération de paix de l’ONU. Ils reviennent d’abord sur le contexte de déploiement de cette mission multinationale de soutien à la sécurité en Haïti qui a été autorisée par les Nations unies en octobre 2023 à la demande du pays, qui faisait face à des violences de gangs incessantes depuis 2018. L’objectif de la mission est d’aider la police à restaurer l’ordre et faire respecter la loi. La mission est menée par le Kenya, et a un mandat de 12 mois autorisé par l’ONU. Le contingent kenyan forme 60% de l’effectif total déployé pour la mission, aux côtés de troupes du Bangladesh, des Bahamas, des Barbade, du Belize, du Bénin, du Tchad et de la Jamaïque.
Les États-Unis et l’Équateur, co-porteurs de plume de la résolution 2699 (2023) qui a autorisé le déploiement de la mission, ont proposé de remplacer la mission multinationale par une mission traditionnelle du maintien de la paix onusienne. En effet, la situation d’Haïti nécessite selon eux une intervention plus globale à différents niveaux. Cependant, la question de savoir si une mission venant de l’étranger peut régler les problèmes de violences de gangs et les problèmes politiques et sociaux profondément enracinés d’Haïti, se pose.
Plusieurs facteurs rendent l’actuelle mission complexe et ont largement retardé son avancée. Premièrement, la lutte contre l’activité des gangs est lente et périlleuse, ce qui crée un sentiment de frustration au sein de la population haïtienne à l’égard de la mission menée par le Kenya. Ensuite, comme dans beaucoup de missions de maintien de la paix, des questions sur la bonne répartition des fonds se posent également, et restent souvent sans réponse. De plus, l’organisation des modalités de logement des troupes est lente, ce qui retarde l’envoie en Haïti de troupes pourtant prêtes, la sécurité des troupes étant primordiale dans ce genre de contexte.
Cette situation laisse deux possibilités : soit la reconduction et le renforcement de la mission actuelle, bien que les résultats ne soient pas des plus satisfaisants, soit la transformation de la mission multinationale en une mission de maintien de la paix sous l’auspice des Nations unies. L’avenir de la mission va donc dépendre de la capacité kenyane à coordonner les acteurs locaux et internationaux, mais aussi de la situation locale. Enfin, les auteurs rappellent qu’il est difficile d’évaluer la mission actuelle, étant donné que son plein potentiel n’a pas encore été déployé.
Lou Pingeot, « As Kenyan Deployment Sits in Limbo, Revisiting the History of International Intervention Against Gangs in Haiti », International Peace Institute, 2 mai 2024.
Lou Pingeot, « As Kenyan Deployment Sits in Limbo, Revisiting the History of International Intervention Against Gangs in Haiti », International Peace Institute, 2 mai 2024.
Dans cet article de l’International Peace Institute (IPI), Lou Pingeot, chercheuse postdoctorale à l’Université d’Ottawa, revient sur l’expérience des interventions passées en Haïti en vue de la prochaine mission de police sous conduite kényane. Pour Pingeot, la proposition d’une nouvelle mission internationale en Haïti après neuf autres depuis les années 1990 met en évidence l’échec des interventions précédentes.
L’article argumente que la nouvelle intervention doit s’appuyer sur les enseignements tirés des échecs des missions passées, qui ont privilégié la stabilité au détriment de la démocratie. Ce fut le cas de l’opération multidimensionnelle onusienne la MINUSTAH (2004-2017), dont les ressources se sont détournées vers la sécurité, qualifiée de « priorité dévorante » par l’ancien commissaire de police de la MINUSTAH, David Beer, cité par l’autrice. Cette focalisation sur la sécurité physique sera, d’après Pingeot, encore renforcée par le caractère unidimensionnel de la mission exclusivement policière sous conduite kényane.
Dans le cas de la MINUSTAH, l’action robuste contre les gangs a causé la mort de plusieurs civils et ne s’est pas attaquée aux causes profondes de la violence en Haïti. En effet, Pingeot souligne que la stratégie de neutralisation des groupes armés, mettant de côté les enquêtes sur l’armement et le financement des gangs, a empêché le démantèlement de leurs réseaux. Plus précisément, l’article explique comment cette approche sécuritaire a ciblé de manière disproportionnée les quartiers les plus pauvres, sans aborder les relations de pouvoir où les élites économiques contrôlent les gangs dans ces quartiers. De cette façon, l’impunité des élites a été renforcée par la présence internationale.
Face à cette situation, la nouvelle mission internationale, moins équipée que la MINUSTAH, risque de reproduire les modèles des interventions précédentes. Par conséquent, pour Pingeot, il est évident que la communauté internationale n’est pas prête à changer son répertoire d’intervention. Pour elle, les décisions les plus importantes concernant l’Haïti sont toujours prises en dehors de ses frontières, ce qui contribue à une compréhension de la crise trop étroite, y compris, par exemple, la banalisation de la violence structurelle. Dans ce sens, la conception habituelle de « c’est juste comme ça en Haïti » relègue les conditions économiques, urbanistiques et environnementales des villes haïtiennes à l’arrière-plan. C’est pourquoi toute intervention qui ne vise pas à reconstruire le contrat social est vouée à l’échec.
Plusieurs Haïtiens souhaitent l’arrêt même momentané des violences, et cela pourrait probablement être fourni par la mission internationale. Toutefois, compte tenu des expériences relevées dans cet article, l’autrice fait un appel à la communauté internationale à réfléchir sur comment aborder les causes des violences en Haïti, plutôt que de simplement déployer des missions en suivant le principe d’agir pour une obligation de « faire quelque chose ».
Damilola Banjo, « Can the UN Security Council Finally Wrap Its Mind Around Haiti? It’s Trying », PassBlue, 18 mars 2024.
Damilola Banjo, « Can the UN Security Council Finally Wrap Its Mind Around Haiti? It’s Trying », PassBlue, 18 mars 2024.
Dans un article de PassBlue, Damilola Banjo, journaliste pour PassBlue, met en évidence les défis urgents et complexes auxquels est confrontée la communauté internationale pour stabiliser la situation en Haïti, en mettant en avant les efforts de la Mission internationale et du Conseil de transition politique proposé par la Communauté des Caraïbes (CARICOM). Le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé une mission policière internationale à l’automne dernier pour rétablir l’ordre en Haïti, confronté à la domination des gangs armés. Cependant, malgré ces efforts, la violence continue de se propager, alors que la mission reste en suspens et que le gouvernement intérimaire haïtien a démissionné. Ces évènements récents soulignent les défis majeurs auxquels est confrontée la communauté internationale dans sa tentative de stabiliser la situation en Haïti.
Damilola Banjo explique que dans ce contexte, des discussions ont eu lieu au sein du Conseil de sécurité pour trouver des moyens de saisir l’opportunité de ramener la paix et la sécurité dans le pays. Pourtant, les gangs armés maintiennent une emprise ferme sur certaines régions, ce qui complique d’avantage la situation. Les propositions visant à mettre en place un conseil de transition, soutenues notamment par la CARICOM et les États-Unis, se heurtent à une forte opposition de la part des Haïtiens, y compris les gangs.
Elle souligne que pour que le conseil de transition puisse commencer à fonctionner, deux étapes essentielles doivent être accomplies : nommer un leader intérimaire et élaborer un plan de sécurité pour garantir la protection des citoyens haïtiens.
Selon Damilola Banjo la mise en œuvre de la mission internationale de soutien à la sécurité, qui devait être dirigée par le Kenya, a également rencontré des obstacles, notamment des problèmes juridiques internes et la démission du Premier ministre haïtien. Malgré les défis, l’ONU et d’autres pays continuent de débattre des meilleures options pour avancer dans cette crise complexe.
En guise de conclusion Damilola Banjo souligne que la résolution de la crise haïtienne nécessitera une approche concertée et coordonnée de la part de la communauté internationale, tout en tenant compte des spécificités et des défis propres à Haïti. Il est impératif d’impliquer les différentes parties prenantes, y compris les gangs, dans le processus de résolution des conflits, afin de garantir une solution durable et pacifique à cette crise. Mais la résistance des gangs met en évidence les défis du Conseil de transition haïtien, remettant en question son efficacité et soulignant le besoin d’une approche plus inclusive et adaptée localement.
Eugene Chen, « How Can the UN Best Support Kenya’s Mission to Haiti? Delay Provides Time to Reflect » The Global Observatory, 31 janvier 2024.
Eugene Chen, « How Can the UN Best Support Kenya’s Mission to Haiti? Delay Provides Time to Reflect » The Global Observatory, 31 janvier 2024.
Dans un article du Global Observatory, Eugene Chen, directeur de programme à l’université de New York, revient sur les défis financiers, opérationnels et politiques qui entourent le déploiement de la Mission Multinationale d’appui à la sécurité en Haïti (MMAS). Il commence par rappeler le fait que le 26 janvier dernier, la Haute Cour du Kenya a bloqué le déploiement de la police kényane en Haïti, ajoutant davantage de doutes sur le calendrier de la mission après son autorisation par le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) en octobre 2023. En effet, le Kenya avait proposé de diriger une mission de coalition ad-hoc l’été dernier, en réponse à la demande en octobre 2022 d’un déploiement de soutien formulée par Haïti au CSNU, confronté à une recrudescence d’activités criminelles perpétués par des gangs armés.
Dans cet article, Eugene Chen met en exergue quatre défis auxquels fait face la mission. Le premier est un défi financier, puisque malgré une résolution du Conseil de sécurité stipulant que la mission devrait être financée par des contributions volontaires, il est suggéré que des contributions obligatoires pourraient devenir nécessaires pour combler les lacunes en capacité et ressources. En effet, le financement actuel est insuffisant. Le coût estimé de 600 millions de dollars nécessite une mobilisation plus importante des États membres de l’ONU.
Le second défi est celui de l’absence d’un mode opérationnel clair pour la MMAS, ce qui peut créer des difficultés. La MMAS n’a en réalité pas de modèle opérationnel clair, ce qui peut créer des difficultés d’interprétation sur des enjeux comme les règles d’engagement ou l’usage de la force. La mission nécessite un programme de formation partagé et une capacité à le dispenser uniformément à tout le personnel déployé.
Une coordination avec les entités existantes en Haïti représente également un défi tangible puisque la présence d’entités telles que le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) et l’équipe des pays de l’ONU en Haïti nécessite une coordination efficace et une complémentarité des efforts.
Enfin, l’absence d’une stratégie politique globale demeure un défi majeur car la MMAS ne résout pas les problèmes sociaux, politiques et économiques de l’île. Une approche sur-sécurisée pourrait aggraver les facteurs de risque. Une stratégie politique plus large, incluant les engagement politique et des efforts de consolidation de la paix à long terme est cruciale.
Pour faire face à ces défis de la meilleure façon, Eugene Chen propose deux pistes de solutions : établir un soutien logistique dédié via le BINUH, ce qui garantirait une coordination efficace (1) et renforcer le mandat du BINUH assurant un soutien aux capacités haïtiennes (2).