Dans cet article publié conjointement par le Challenges Foum, la Folke Bernadotte Academy, et l’Université de défense de la Suède, Chiara Ruffa et Sebastiaan Rietjens, respectivement professeure au centre d’études internationale de Sciences Po et directeur du Centre de recherche sur les études de guerre à l’académie de défense des Pays-Bas, explorent la manière dont les casques bleus venant du Nord global et du Sud global interagissent les uns avec les autres et interprètent le mandat de la mission dans laquelle ils sont déployés. Les auteurs s’appuient sur une étude de cas de la mission des Nations unies au Mali (MINUSMA) pour argumenter que la bonne gestion de la diversité est un facteur de réussite essentiel dans les opérations de maintien de la paix.
Les auteurs s’appuient sur 120 entretiens menés avec des soldats de la paix déployés dans plusieurs endroits du Mali entre 2014 et 2017. Ils argumentent que, lorsque les casques bleus sont déployés dans un contexte très ambigu, ils ne se contentent pas simplement d’obéir aux ordres mais interprètent leur mandat de manière à développer des stratégies de construction de sens. Les auteurs mettent en avant trois types de stratégie de construction de sens pour classifier les interactions des soldats du Nord avec ceux du Sud : le jardin de Voltaire, la construction de ponts et l’altérité. Le jardin de Voltaire repose le fait que les équipes se concentrent sur les objectifs de leur propre contingent sans réellement communiquer avec les autres unités. Cette stratégie entraîne des difficultés d’adaptation et parfois l’échec de la mise en œuvre de certains ordres. L’altérité, quant à elle, consiste à renforcer les différences et à reproduire les hiérarchies raciales et, dans certains cas, s’exprime sous la forme d’un racisme décomplexé. Cette stratégie est préjudiciable aux performances du maintien de la paix parce qu’il renforce les problèmes de coopération. La stratégie la plus bénéfique selon les auteurs, la construction de ponts, consiste à gérer la situation principalement par le biais d’interactions informelles avec d’autres contingents, parfois même en allant à l’encontre du mandat.
Les auteurs concluent avec trois recommandations. Premièrement, les Nations unies devraient promouvoir activement la construction de ponts entre les unités issues de contextes nationaux différents au sein des missions de maintien de la paix, afin de favoriser la cohésion et d’améliorer la compréhension des objectifs de la mission. Ensuite, des niveaux plus élevés de diversité culturelle devraient être mis en œuvre pour contrer les stéréotypes raciaux au sein des opérations. Enfin, une formation et une socialisation spécifiques avant le déploiement peuvent également être utilisées pour lutter contre ces stéréotypes.